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Résumé : L"objectif de cette recherche est de déterminer si le parcours visuel d"une page Web est différent pour chaque individu, ou si certains parcours seraient spécifiques à quelques catégories d"internautes, ou encore si certains parcours seraient liés à des objectifs d"exploration particuliers.

Le tracé de l'exploration visuelle d'une page Web

Les études sur l"exploration visuelle de page Web peuvent nous aider à évaluer leur qualité ergonomique et à faire certains choix de conception (positionnement des éléments les uns par rapport aux autres, nombre d"éléments à positionner pour qu"ils soient perçus, etc.). C"est pourquoi ces études sont très importantes, notamment pour l"achat ou la vente d"espaces publicitaires.

Introduction

Les systèmes d"enregistrement du suivi du regard ont beaucoup évolué au cours des dernières années.  Les systèmes sont ainsi devenus plus souples et surtout moins contraignants et moins invasifs pour les participants.

Parmi les techniques d"enregistrement de la position du regard, la technique du reflet cornéen est sans doute la plus utilisée en ergonomie.  Elle permet notamment une bonne précision des mesures tout en laissant le participant libre de ses mouvements (voir Baccino & Colombi, 2001, pour une description des autres techniques d"enregistrement ; et Pottier & Neboit, 1995, pour des exemples d"application).

La technique du reflet cornéen consiste à envoyer des faisceaux de lumière infrarouge émis par un ensemble de diodes au centre de la pupille.  Les reflets infrarouges renvoyés par la cornée de l"œil sont ensuite détectés et permettent, après calcul, de repérer le centre de la pupille et de connaître la position de fixation de l"œil sur une cible.  De nombreux systèmes se basent sur ce principe.  Les Figures 1 et 2 illustrent une situation de tests qui utilise une caméra vidéo dotée de diodes infrarouges qui filme l"œil.

Exemple d'étude du suivi du regard   Exemple de caméra pour l'étude du suivi du regard
Figure 1.  Exemple d"installation pour l"étude du suivi du regard sur écran de visualisation
(source : www.a-s-l.com).
  Figure 2.  Caméra munie de diodes infrarouges
(source : www.a-s-l.com).

Dans le cas des deux figure ci-dessus, le système d"enregistrement permet de savoir où se pose le regard de la participante sur l"écran.  Si cette dernière regarde sur le clavier ou à côté de l"écran, le système ne sait plus dire où se pose le regard.  Ce système possède donc des limites, mais celles-ci n"interfèrent pas sur nos tests concernant l"exploration des sites Web.

Participants

Les 53 participants pour cette étude (40 hommes et 13 femmes) étaient répartis comme suit : 

 
Groupe d"age Nombre total Gauché Expérimenté *
14-19 3 1 2
20-29 21 9 14
30-39 14 6 7
40-49 10 3 3
50+ 5 1 0
* Ce sont des personnes ayant plus de 5 ans
d"expérience sur le Web et qui naviguent plus
de 14 heures par semaine.

Sur les 53 participants, neuf travaillent dans le secteur de l"internet ou du multimédia et quatre ne possédent pas d"ordinateur.  Comme pour les gauchés, je n"ai remarqué aucune différence significative dans ce groupe.

Hypothèse

Les tests de l"expérience ont été conçus selon l"hypothèse suivante : le parcours visuel d"une page Web est semblable peu importe la catégorie d"internautes ou les objectifs d"exploration.

Méthodologie

À chaque session un spécialiste en ergonomie était présent avec les participants pour les guider à travers les différentes étapes de réalisation.  À quelques occasions, un deuxième spécialiste pouvait être présent pour observer le comportement des différents participants.  À noter que le deuxième spécialiste était toujours dans une autre pièce afin que le participant ne puisse pas le voir.  Le matériel et les logiciels fournis nous permettaient d"enregistrer les mouvemements et les pauses occulaires de tous les participants.

Nous avons demandé aux participants de l"étude de trouver des informations spécifiques dans les différentes pages Web qui leur étaient montrées et ce sans aucune limitation temporelle.

Résultats

L"hypothèse soutenue dans cette expérience s"est révélée fausse.  Toutefois, cette expérience nous a permis de définir des zones « d"intérêt » avec des fréquences de fixation pour chacune d"elle.

Il est clair par ailleurs, que les utilisateurs apprennent rapidement à regarder là où ils s"attendent à trouver l"information sur la page Web.  Ils apprennent aussi à éviter les endroits où ils ne trouveront pas ce qu"ils cherchent, incluant les bannières publicitaires et les endroits en dehors de la partie centrale de la page.  Si l"on se reporte à la figure 3, les participants commencent par regarder au centre, à gauche et ensuite à droite.  Quand les participants rencontraient une bannière publicitaire dans la partie centrale, ils apprenaient aussi rapidement à arrêter de regarder la bannière et à continuer plus loin.

Identification des zones d'intérêt
Figure 3 : Identification des zones « d"intérêt »

Nous avons remarqué que, lorsque nous demandions de trouver une information spécifique à un participant, celui-ci commençait par regarder au centre, ensuite à gauche, pour terminer à droite.  Les participants prenaient en moyenne 11 secondes par page Web pour trouver l"information qui leur était demandée.

Nous avons aussi remarqué que, les participants recherchaient plus à l"extérieur de la partie centrale lorsque ceux-ci prenaient plus de temps à trouver l"information, ou lorsque ceux-ci voyaient la page pour une deuxième ou troisième fois.

La manière de chercher est similaire

Tous les utilisateurs ont passé la même proportion de temps à regarder chacun des secteurs.  Cette similitude du comportement nous a vraiment étonnés.  Nous pensons que chaque participants a appliqué les mêmes critères de sélection relativement à l"importance de chacune des zones.   Comme si celle-ci pouvait contenir l"information que chacun recherchait.

Nous avons aussi remarqué, que les participants inexpérimentés, recherchaient de la même façon que les participants expérimentés.  Au début certes, les participants inexpérimentés recherchaient dans les pages de gauche à droite comme s"ils lisaient un livre.  Toutefois, ils ont rapidement adopté la recherche de type centre-gauche-droite après seulement quelques pages vues.  En réalité, nous avons pu observer, qu"après deux ou trois pages seulement, les participants inexpérimentés changaient leur façon de chercher pour ne trouver que les bons éléments.  Nous avons aussi vu que les utilisateurs inexpérimentés regardaient plus souvent la barre de navigation et que ce comportement tendait à disparaître après quelques minutes de navigation sur le Web.

Dû au fait de l"adoption rapide du comportement centre-gauche-droite par les participants inexpérimentés, nous croyons que les participants expérimentés ont appris ce comportement lors de leur première visite sur le Web.

Ce qui nous amène à la conclusion que les concepteurs de pages Web n"ont pas à faire de pages spécialement conçues pour les utilisateurs inexpérimentés.

Le utilisateurs ne vont pas en bas de pages

Les internautes regardent que très rarement dans le bas des pages.  Zone que nous avons appelé partie du bas dans la figure 3.  Nous avons remarqué que les participants à l"études trouvaient l"information avant de ce rendre à cette partie.  Si toutefois ils n"vaient pas trouvé l"information ceux-ci faisaient défiller la page pour monter la partie du bas dans la partie centrale.

Certains utilisateurs ont même eu de la difficulté à trouver l"information qui se trouvait dans la zone du bas.  Ceci vient probablement du fait que les utilisateurs ne regardent pas dans les endroits où ils ne pensent pas trouver l"information qu"ils recherchent.

Quelques changements et on recommence

Nous avons effectués plusieurs variations dans notre site prototype pour vérifier si les changements allaient modifier la façon de balayer la page par les participants.  Les chagements mineurs apportés par les concepteurs n"ont aucunement modifié la façon de balayer la page, par les participants.  Toutefois, avec des changements entre 12 et 30 pixels de notre prototype, les participants ont rapidement réévalué leur façon de balayer la page pour s"adapter à la nouvelle disposition des éléments présents.

Qu"est-ce qui attire l"œil?

En utilisant les données recueillies par la caméra infra-rouge ainsi que nos observations du comportement visuel de nos participants, nous avons découvert que les points suivants attiraient beaucoup l"oeil.
  • Le texte attire l"oeil une fraction de seconde avant les images et les animations.
  • Ensuite, l"oeil est attiré par les couleurs brillantes ainsi que les animations.  Ce n"est toutefois pas un élément nouveau mais il est toujours intéressant de voir les participants détourner leur regard un bref instant pour voir le curseur de la souris clignoter ou une animation se produire.   Fait à noter : le regard revient toujours à l"endroit initial après avoir observé une animation
  • Le regard arrête un peu avant les bordures.  Tant pour celles du haut ou du bas que pour celles autour des bannières publicitaires.  Pour les participants cette bordure semblait indiquer qu"il n"y avait pas de contenu intéressant à l"intérieur.

Le rôle de la vision périphérique

La caméra infra-rouge, nous indique exactement à quel endroit le participant regarde, soit la partie de la vision qui ne peut pas ignorer le moindre menu détail.  La vision périphérique joue clairement un rôle lors de la navigation.  Nous ne pouvons quantifier le rôle de cette vision, mais nous pouvons interpréter les résultats comme suit : 
  • Les participants ont rarement regardé la barre de défilement.  Ils ont toutefois dirigé leur regard très fortement vers la zone de droite.  Ceci nous amène à dire qu"ils n"ont jamais regardé la barre de défillment même lorsqu"ils ont eu à l"utiliser.  Sur ce point la vision périphérique a grandement aidé
  • Les bannières publicitaires attirent le regard seulement lorsqu"elles ont un lien avec la tâche courrante de l"internaute.  Les participants ont semblé déterminer si la bannière publicitaire les intéressait avant même de l"avoir regardée directement.   Ici la vision périphérique a semblé jouer un grand rôle.

Conclusion

L"usage du suivi du regard peut constituer un outil intéressant pour l"étude des comportements visuels des internautes.  Mais comme tout outil, il ne saurait répondre à toutes les questions.  Par ailleurs,  l"interprétation des résultats doit être "prudente".
  • Le fait de ne pas avoir fixé un élément signifie-t-il que cet élément n"a pas été perçu ?
  • Combien de temps doit-on fixer un point pour que l"information soit traitée ?
L"exploration visuelle d"une page Web peut être guidée par l"organisation des éléments de la page mais cette exploration est aussi guidée par des objectifs.  Le comportement d"exploration visuel n"est pas " passif ".  La consultation de sites Web est généralement motivée.   Vous cherchez une information précise (l"adresse d"un hôtel), ou vous souhaitez acheter quelque chose (le dernier CD du groupe Coldplay que vous connaissez).  Il y a fort à parier que dans ces situations le comportement visuel des internautes sera différent.  Les différentes zones de la page pourront alors être explorées différemment.

Pour bien comprendre le comportement des internautes et concevoir des sites qui soient adaptés aux objectifs que ces derniers poursuivent, les études devront être plus réalistes et mieux contrôlées.  Il s"agit ici d"observer des internautes lors de la réalisation de tâches représentatives de celles pouvant être menées sur les sites.

Remerciements

Un remerciement spécial à tous ceux et celles qui ont bien voulu se prêter à l"exercice et particulièrement à l"université Laval de Québec pour nous avoir fourni les équiments et coordonné cette expérience.

Références

Baccino & Colombi (2001) http://www.webusabile.it/approfondimenti/U01102001.htm
Pottier & Neboit (1995) L"analyse ergonomique du travail par l"étude de l"exploration visuelle.


Louis Bédard
04.04.2004 16:00
       


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